Le regard du Pr Pison sur la sarcopénie : télécharger en pdf (378 K0)
Nous nous sommes entretenus avec le Professeur Christophe PISON, pneumologue au CHU Grenoble Alpes, Docteurs en Science et en Médecine, Professeur de médecine à l’université Grenoble Alpes, Chef du service hospitalier universitaire de pneumologie – physiologie).
• En tant que médecin, pouvez-vous nous parler de la sarcopénie ?
La sarcopénie, c’est une évolution de la vie. Nous avons tendance à voir cela comme « inévitable ». C’est une sorte de vieillissement du corps qui serait métaboliquement moins actif et moins performant. Cette évolution peut parfois prendre des proportions préoccupantes puisqu’elle menace l’autonomie des gens et leur vie. Cela se complique de chutes, fractures et de complications très graves.
Elle est souvent reliée à des maladies chroniques, parfois due à un vieillissement pas très réussi, se caractérisant par une perte de masse musculaire et une perte de la masse métaboliquement active. C’est une perte de muscle (un amaigrissement non voulu) avec une perte de fonction. Cela implique une perte d’autonomie et peut engager le pronostic fonctionnel voire vital de ces patients.
Quand il y a la faillite d’un organe clé comme le poumon, le cœur, le foie, les reins ou encore le cerveau, cela aggrave la conséquence de la maladie de l’organe et engendre une baisse de poids et de muscle.
La masse maigre diminue au profit de la masse grasse.
La sarcopénie est très souvent liée aux maladies chroniques. Elle se traduit par une inflammation qui menace la masse musculaire et son homéostasie. C’est à la fois la protéosynthèse qui est diminuée et la protéolyse qui augmente. C’est un peu comme une espèce de balance : un déséquilibre dû à une inflammation peut perturber la fabrication du muscle et sa dégradation. Ça complique toutes les maladies chroniques dont les maladies respiratoires.
Maigrir lorsqu’on a une maladie chronique par exemple, c’est mourir. Beaucoup de gens sont contents de maigrir car ils se trouvent un peu gros, mais maigrir lorsque l’on a une maladie, c’est très dangereux. C’est même un facteur alarmant. Cela signifie que quelque chose de grave se passe, surtout quand on vieillit.
Être maigre, que l’on soit malade ou pas, est un facteur de risque de morbi-mortalité.
• Etes-vous souvent confronté à la sarcopénie dans votre service ?
Oui dans le cas des maladies respiratoires, notamment dans le cancer du poumon qui est, je le rappelle, la première cause de mortalité dans le monde. Même si ce n’est pas le plus fréquent, c’est le plus meurtrier.
Dans le cas d’un cancer du poumon, la sarcopénie s’installe très vite. Les patients cancéreux maigrissent très vite et cela explique notamment des échecs de traitement. Cela peut conduire au décès du patient.
Même si la sarcopénie est très fréquente lors du cancer du poumon, elle l’est également lors de maladies chroniques comme la fibrose pulmonaire, l’asthme, la tuberculose, la mucoviscidose et les maladies neuromusculaires. Dans toutes ces maladies, il y a un risque de sarcopénie qui est propre à chaque individu. Il y a des patients qui vont perdre plus ou moins leur masse musculaire ; ceux qui la perdent le plus sont beaucoup plus menacés.
• Les causes ne sont donc pas toujours liées à l’âge ? LA sarcopénie touche-t-elle essentiellement les séniors ?
Je dirais que le mécanisme biologique principal au-delà du manque d’oxygène, c’est l’inflammation. L’inflammation peut être d’origine cancéreuse ou due à des maladies chroniques inflammatoires comme l’allergie ou la pollution. Dans ces maladies, c’est une inflammation qui est mal contrôlée, ce qui empêche la synthèse de protéine et cela accélère la dégradation musculaire.
On peut aussi, par exemple, être atteint de mucoviscidose qui n’est pas bien contrôlée avec des exacerbations et être sarcopénique. Donc on peut avoir le cas de jeunes patients sarcopéniques. Ce n’est donc pas systématiquement lié à un âge avancé, même si c’est un phénomène aggravé par l’âge incontestablement.
• Cette pathologie touche un très grand nombre de personnes aujourd’hui mais nous en entendons très peu parler. Pourquoi ?
En effet, notre société moderne est très obsédée, à juste titre, par l’obésité. C’est un fléau qui frappe tous les pays. A côté de notre société d’abondance, ce qui est assez paradoxal et curieux, c’est de voir que des patients peuvent être dénutris. Dans notre pays, se côtoient beaucoup de maladies nutritionnelles, comme la cachexie qui est un amaigrissement massif, l’obésité et également la sarcopénie.
Néanmoins la sarcopénie est moins visible que l’obésité, et le public est moins averti, mais cette pathologie est tout aussi à risque.
• Comment diagnostiquer et traiter la sarcopénie ?
C’est assez simple à diagnostiquer, c’est une perte de poids et une force qui diminue. On s’en rend compte par la vitesse de marche ou lors d’une perte d’endurance.
On peut mesurer la masse musculaire grâce à l’impédancemétrie, qui consiste à mesurer la résistante du corps au passage d’un courant électrique de faible intensité. On peut donc connaitre la masse grasse et la masse non grasse. De plus, il y a suspicion de sarcopénie lorsque la mesure de la force musculaire ((la force de préhension) présente un résultat de moins de 16 kg chez la femme et de moins de 27 kg chez l’homme.
Traiter la sarcopénie, c’est bien. La prévenir, c’est mieux. Quand les patients avancent en âge, il faut maintenir leurs apports alimentaires, leur conseiller de manger des choses qu’ils aiment, augmenter les apports en protéines et bouger un peu plus. Cela nécessite un accompagnement, car lorsque l’on est malade la pratique de l’exercice est plus difficile.
Pour bien traiter la sarcopénie, il faut d’abord traiter l’inflammation qui la provoque, comme les infections ou les maladies du type cancers. Il faut dialyser les malades pour ne pas qu’ils perdent de poids mais ne nous leurrons pas, c’est une maladie qu’on a beaucoup de mal à enrayer.
C’est un message un peu pessimiste, mais la sarcopénie est une condition difficile à traiter puisque c’est assez rare que l’on puisse ré augmenter la masse musculaire. Tout ce que l’on peut faire, c’est enrayer le déclin.
• Est-ce que la sarcopénie est une fatalité ?
Disons que cette pathologie est souvent liée à des vieillissements non réussis mais aussi à des maladies chroniques. Nous avons donc besoins de faire beaucoup de recherche pour la traiter, nourrir les gens ne suffit souvent pas. Il faut bien faire comprendre que c’est un problème de santé publique et que sa prise en charge est loin d’être simple.
Il est conseillé de faire appel à des experts de la nutrition comme des gériatres nutritionnistes pour trouver des stratégies. Il faut rendre la nourriture agréable, prendre du plaisir à manger, faire de l’exercice, et faire attention à ce que les maladies associées soit bien traitées. Certains alicaments et aliments peuvent aider à maintenir la masse corporelle et le système protéique. Ce sont des prises en charge pluri-professionnelles et multimodales.
• Est-ce que la sarcopénie est une fatalité ?
La L- citrulline est un acide aminé dont l’ingestion favorise la protéosynthèse. Elle permet donc de lutter contre la sarcopénie.
Il y a encore beaucoup de choses à découvrir, beaucoup de recherches à faire pour lutter contre cette pathologie.
• Pensez-vous que c’est une bonne chose de prescrire des compléments alimentaires à certains patients atteints de maladie comme la sarcopénie ?
Oui, bien-sûr. Cela fait partie des recommandations, mais avant cela il faut préférer la nourriture ou allier les deux. Il faut redonner le goût de manger et rompre l’isolement qui peut favoriser la dénutrition. Il faut aussi favoriser l’exercice.
Nous remercions le Pr Pison d’avoir pris le temps de répondre à cette interview.